vendredi 11 décembre 2015
lundi 7 décembre 2015
Tome I (extrait)
[...] Subitement, un froissement de
feuilles perça le silence. Une bête ressemblant à un poney sortit du sous-bois
et tomba face contre terre. Péniblement, l’animal se releva sur ses pattes en
tentant de garder son équilibre. Il n’avait pas l’air dangereux. Intriguée,
Isory s’en approcha doucement. L’animal semblait plus curieux qu’effrayé. Il
étira le cou pour sentir la cape d’Isory. Celle-ci renifla aussitôt une odeur
faisant étrangement penser à de l’alcool. Elle remarqua aussi les yeux du poney
qui n’arrêtaient pas de bouger. D’un geste énergique, elle tenta de chasser la
puanteur tout en faisant la morale au cheval.
– Beurk
! Ouache ! Tu sens mauvais. On ne t’a jamais dit que c’est impoli de souffler
au visage des gens ?
Au même instant, l’animal s’écroula par
terre. Spontanément, Isory s’accroupit près de lui et posa l’oreille sur son
ventre. Il était bien vivant.
– Il
a l’air soûl ! Comme c’est bizarre !
Elle entendit alors un nouveau
froissement des feuilles, suivi de craquements secs, comme si on cassait des
branches. Elle se doutait bien qu’un autre spécimen allait faire son
apparition. Et comme de fait, un deuxième poney sortit du sousbois en titubant
lui aussi. En le voyant, elle se mit à ricaner.
C’est alors qu’un oiseau gigantesque
avec une tête d’aigle surgit derrière lui et l’attaqua. En quelques secondes à
peine, il égorgea le petit cheval avec son bec coupant. Ensuite, il l’empoigna
avec ses immenses serres et, d’un coup de bec, transperça la chair chaude de sa
victime pour assouvir sa faim. Isory était glacée d’horreur. Rester là n’était
pas une option, car elle savait bien qu’elle servirait de dessert lorsque
l’oiseau de proie aurait terminé avec le poney. Mais sa peur était telle
qu’elle arrivait à peine à respirer, et encore moins à bouger. Elle se parla
pour tenter de se ressaisir :
– Passe
à l’action, Isory. Allez ! Fais preuve de courage.
Elle essayait de garder son calme, mais
elle frémissait. Finalement, elle réussit à se mouvoir. Sans quitter des yeux
le monstre à deux pattes, elle s’éloigna tranquillement sur la pointe de ses
bottes à tuyau. Par malheur, elle trébucha sur une racine d’arbre qui
traversait le sentier et tomba brusquement. Elle avait l’impression de se
retrouver dans un film d’horreur. L’oiseau arrêta sur-le-champ son carnage et
leva la tête. Il était couvert de sang. Il fixa Isory un certain temps, puis
gonfla ses plumes et ouvrit son bec pour pousser un cri à faire glacer le sang
dans les veines. Isory se releva promptement et se mit à courir de toutes ses
forces. À son grand malheur, ses mouvements éveillèrent l’instinct du prédateur
qui la prit en chasse, courant derrière elle. Le sol tremblait de plus en plus
sous les pieds d’Isory qui sentait la bête se rapprocher rapidement. Elle
tourna la tête et aperçut l’oiseau qui s’apprêtait à l’attaquer.
– AAAAAAAAAAAAH
!
Isory posa son regard sur une branche
d’un arbre immense qui se trouvait à quelques pas devant elle et, sans
comprendre d’où venait la voix qui lui parlait, elle commanda à son corps d’exécuter
ses ordres. Elle sentit alors une force soudaine pousser son corps vers l’avant
et l’emporter dans les airs. Criant sans retenue, elle continua de courir dans
le vide. Son élan la précipita contre les branches de l’arbre, d’où elle
retomba lourdement sur le sol. Étourdie, Isory voyait les arbres bouger autour
d’elle. Elle secoua la tête afin de reprendre ses esprits. L’oiseau s’approcha
et se transforma instantanément en gnome. Bouche bée et encore un peu étourdie,
elle observa le petit bonhomme, qui lui adressa la parole [...].
dimanche 6 décembre 2015
samedi 5 décembre 2015
Tome III, partie I (extrait)
[...] « Meg Poutch se meurt : une histoire d’agression ou l’œuvre d’une jettatura ? »
Quinze jours se sont écoulés depuis la tragédie qui a mis fin brusquement aux festivités de l’Halloween.
Ce soir-là, le sortilège de Cacouna a frappé de nouveau : Isory Poutch, tremblante de peur, s’enfonçait dans l’obscurité des couloirs de la maison hantée, cherchant à tâtons sa mère, qui l’accompagnait et qui s’était éloignée d’elle. L’éclairage, clair-obscur, dirigé sur les personnages d’horreur, l’empêchait de voir si bien qu’elle trébucha et tomba à plat ventre. Presque aussitôt, une main puissante l’attrapa par le cou.
« J’étais prise en étau entre les mains d’une horrible créature. Elle m’a secouée comme un vulgaire prunier », nous a raconté la jeune Poutch, la voix chevrotante. « J’ai cru un instant qu’elle allait m’arracher la tête… », a-t-elle ajouté avant de s’interrompre, incapable de poursuivre son récit.
Selon la jeune fille, son agresseur se serait volatilisé après les avoir assaillies, elle et sa mère, emportant avec lui un jeune garçon nommé Aristophane.
Dans cette affaire, pour le moins nébuleuse, plusieurs questions sont laissées sans réponse : pourquoi l’agresseur n’a-t-il pas tué ses victimes ? De plus, le kidnapping du jeune Aristophane, devons-nous y voir là un message ? Enfin, comment expliquer l’état de Meg Poutch, toujours hospitalisée ? Et pourquoi s’en être pris à la mère d’Isory ? Est-ce là l’œuvre d’un jeteur de sort ? Une jettatura ? Si oui, y aura-t-il une prochaine victime ?
Cameron Rosevelt
– Dieu du ciel ! Comment va-t-elle réagir si elle voit la une du journal ? lança Nestelle, en pensant à Isory.
[...]
vendredi 4 décembre 2015
Tome II (extrait)
[...] Rentrant chez lui, Dim donne un petit coup sur
l’accélérateur de la jeep, laquelle monte sèchement la pente raide et raboteuse
menant à la maison. Puis il gare le véhicule dans l’aire de stationnement
gravillonnée, tout près de la véranda. Heureux de son entretien avec Paulo, il
se dépêche d’entrer dans la maison pour en discuter avec sa fille. En ouvrant
la porte, il s’annonce, tout en déposant sur le comptoir les pains aux noix que
la belle-fille de Paulo, Samanta, venait de défourner.
– Nous
allons enfin avoir de la lumière dans le rang, Meg ! Paulo était…
Mystérieusement, personne ne l’accueille. La cuisine
est vide et il fait un froid de canard dans la maison. Sans trop se poser de
questions, il enlève ses bottes et s’empresse de remplir de bûches le poêle
antique, un héritage de grande valeur, que sa défunte mère avait fait venir de
Trois-Rivières par train ; ses pattes de bronze galbées et son chemisage de
porcelaine bleu minuit lui donnaient une allure imposante. Quand le four ne
servait pas à cuire les tartes de Meg, Isory entrouvrait la porte et y
suspendait ses bas de laine, tout rapiécés.
Quelques braises ardentes crépitent encore dans le
poêle et enflamment les bûches en un rien de temps. Sur sa berceuse, près du
poêle, Dim remarque Le Pika Pioche ;
la photo et l’article à la une captent immédiatement son attention.
Le
Pika Pioche
LE JOURNAL DES
GENS CURIEUX
DIMANCHE 25 OCTOBRE ____________________ 48
année / n 63
«
Bienvenue chez nous, monsieur le Quêteux »
Sous les haillons de cet homme se cache un être aux
vertus d’un roi,
un cœur vaillant et un langage d’aristocrate. On le surnomme
Piquetout les Doigts longs.
Voici l’histoire d’un gentilhomme, aux yeux émeraude,
dont les traits sont dissimulés derrière une grosse barbe, noire comme du
charbon, qui envahit ses joues basanées. Ses cheveux emmêlés, décolorés par le
soleil, témoignent du temps passé sans qu’il les ait brossés.
La photo qui accompagne l’article séduit Dim : dans le creux d’une main aux doigts
démesurément longs, une petite souris au poil cendré, assise sur ses deux
pattes arrière, se lèche le ventre. Hypnotisé, Dim n’arrive pas à se détacher
du journal. Comme un automate et sans jamais quitter des yeux l’article, il
prend la bouilloire, franchement archaïque, se dirige vers l’évier et la
remplit d’eau. Toujours sans regarder où il met les pieds, il retourne sur ses
pas et dépose la bouilloire sur la plaque du poêle. Déjà, le crépitement du feu
s’intensifie et une douce chaleur se répand dans la cuisine. Dim s’assoit sur
sa berceuse et poursuit sa lecture :
Dans le petit café aménagé dans l’arrière-boutique du magasin général de Cacouna, Piquetout, le quêteux, a généreusement accepté mon invitation pour une entrevue. Tout en sirotant un café à l’orange, spécialité de la propriétaire, Nestelle Ramdam, j’ai écouté avec grande attention la touchante histoire de Christabelle qu’il m’a racontée à la troisième personne :
« Le quêteux se dirige vers la ruelle adjacente
à la rue Saint-Flasque. Un peu moqueur, Piquetout raconte des histoires à
dormir debout. Lorsqu’il croise un des bourgeois de la place, il lui fait
croire qu’il a un pied-à-terre à la ville et qu’au lendemain des festivités de
l’Halloween il devra partir à New York, où une firme d’ingénieurs l’attend.
« Une grande tôle galvanisée sert de toit à son
abri de fortune et, en guise de lit, il a une énorme boîte à feuilles
d'automne, laquelle il a baptisée la boîte à feuilles. Les habitants de la
ville le surnomment Piquetout les Doigts longs. Ses espadrilles retenues par
des bouts de ficelle sont trouées et ses vêtements, beaucoup trop grands pour
lui, ont l'allure de guenilles.
« Piquetout cache à l’intérieur de son vieil
imperméable en loques sa seule amie, Christabelle, une charmante petite souris
grise, au poil velouté, qu’il a sauvée d’une mort certaine.
« Un jour, tentant de s’échapper de la ruelle,
un énorme chat aux oreilles tordues avançait en zigzaguant, ventre à terre, et
en grognant puisque Piquetout lui bloquait la voie. La cause semblait perdue
d’avance pour la petite souris, presque morte, prise en étau entre les
horribles mâchoires de son agresseur. Alors, le quêteux sortit de la poche de
son imperméable le résultat de sa quête de la journée, une cuisse de poulet.
Aussitôt, le chat remua la queue et miaula, libérant par la même occasion sa
victime presque inanimée.
« Noblesse oblige, le quêteux remit le festin au
chat de gouttière qui ronronna et, en guise de remerciement, se frôla contre
son pantalon, puis sortit de la ruelle, vainqueur. Sans perdre de temps,
Piquetout prit le petit rongeur inerte, couvert de salive visqueuse, et le
plaça délicatement au chaud dans le creux de ses mains. Ne perdant pas espoir,
il continua sa manœuvre de sauvetage jusqu’à ce que sa nouvelle amie reprenne
connaissance. Dans un état vaseux, la petite souris regarda les yeux du géant,
remplis d’eau. Trop faible pour se remettre sur ses pattes, elle resta là,
étendue dans le creux des mains de son sauveur. Piquetout ouvrit alors son
imperméable et la laissa glisser doucement dans la poche intérieure.
« Très tôt, le lendemain, couché dans la boîte à
feuilles, le quêteux sentit des chatouillis sur sa joue. Voulant s’en débarrasser,
il se tortilla le nez dans tous les sens. À son grand désespoir, quelque chose
lui picotait maintenant le nez. Piquetout ouvrit les yeux, qui louchèrent,
tellement la petite boule de poils était proche de lui.
« Se sentant en sécurité près du géant, la
souris, assise sur ses deux pattes arrière, se nettoyait scrupuleusement les
pattes, les poils et le museau, à l’aide de sa petite langue. En la voyant
faire sa toilette avec autant de finesse, Piquetout la surnomma Christabelle.
Depuis ce jour, ils ne se sont jamais plus quittés. Même au moment de la quête,
le petit rongeur se glisse dans la poche intérieure de l’imperméable du gentil
géant,laquelle poche lui tient lieu de refuge. »
En ma qualité de journaliste, j’ai entendu des
centaines d’histoires, certaines loufoques, d’autres tristes, mais ce qui
distingue celle de Piquetout, c’est sa sensibilité et sa noblesse. Personne ne
se préoccupe de si petites choses, qui apparaissent insignifiantes à la plupart
d’entre nous. C’est le cycle de la vie, me direz-vous. Après tout, il n’y a
rien de plus normal pour un chat que de chasser une souris. Ce qui est
intéressant dans cette histoire, c’est le respect que montre le quêteux pour
les petites choses de la vie quotidienne, contrairement à un bon nombre d’entre
nous : il n’était pas obligé de donner le résultat de sa quête au
chat. S’il ne l’avait pas fait, il l’aurait berné, bien sûr, mais tout le monde
s’en fout. Mais Piquetout préférait garder son intégrité intacte, et ça, ça
comptait plus que tout pour lui. « C’est moi que j’aurais berné si je n’avais
pas donné la cuisse de poulet au chat, et il aurait fallu que je me raconte des
histoires pour me justifier ! Je n’allais tout de même pas renier mes valeurs
pour une aumône ! » m’a-t-il dit en souriant.
Pour ce quêteux, architecte de profession, à mon
grand étonnement, qui a décroché du monde capitaliste, son geste de noblesse
lui a valu une amie fidèle.
Avant l’entrevue, j’avais préparé plusieurs
questions. Par exemple : pourquoi l’appelait-on Piquetout les Doigts
longs ? Pour quelle raison était-il devenu quêteux ? Mais son histoire m’a
emporté loin de tels sujets, suscitant en moi toute une gamme d’émotions, et
mon interview m’apparaissait désormais complètement inutile. J’ai alors demandé
à Nestelle de nous apporter deux autres cafés à l’orange et nous avons parlé de
choses beaucoup plus intéressantes.
Parfois, ce sont les petites choses de la vie
qui nous apportent de grandes révélations !
Cameron R.
– J’aimerais
être une petite souris pour voir les yeux de Winberger lorsqu’il lira l’article
de Cameron, glousse Dim, tout en glissant sa main gauche sous le coussin de la
berceuse, où était dissimulé son sac à tabac à pipe [...]
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